Décris-nous ici ton histoire. D'où viens-tu ? Qui étais-tu avant d'arriver à l'institut ? Comment t'es-tu retrouvé ici ? Comment se passe ta vie depuis que tu es ici ? Tu peux raconter ton histoire sous la forme que tu veux, du moment qu'elle soit consistante et qu'elle fasse plus de 30 lignes.

"- Ally, écoute-moi.
- Maman ?
- Cours, cours aussi vite que tu peux. Ne te retourne pas. Tu m'as comprise Ally ? Dis-moi que tu m'as comprise ! "
L'enfant aux bouclettes blondes hocha vivement la tête plusieurs fois.
" - Ne les laisse pas t'attraper. Ce n'est pas parce que tu es une enfant qu'ils te traiteront différemment, tu m'entends ? Maintenant cours ! Dépêche-toi, Ally ! "

Je m'appelle Ally Mac Coller. Je suis Irlandaise. Ou presque : ma mère est française. Je parle quelque peu sa langue, mais je ne maîtrise pas tout, leur grammaire est tellement compliquée.
Je suis Irlandaise, sans l'être vraiment. Je suis une Pavees, vous savez, ces gens sur qui vous reposez souvent la faute. Je suis née sur le même sol que mes voisins, mais je ne semble pourtant pas, d'après certains d'entre eux, digne de prétendre à l'origine irlandaise. Qu'importe, je sais qui je suis. Et ça personne ne pourra le changer.

L'enfant sortit de l'habitacle. Dehors, une agitation hors du commun régnait : entre les tentes et de vieilles charrues ou caravane, ses semblables couraient à travers le champ où ils s'étaient tranquillement installés. Personne ne leur avait jusqu'ici rien demandé; il faut croire que toute chose a une fin. Un groupe de personnes, plutôt énervées, même très agacées, avançaient vers eux en criant. Un homme à la carrure imposante portait un fusil de chasse sur son épaule ; l'affaire était très sérieuse. En retrait, Ally observait la scène comme elle le pouvait : de nombreuses silhouettes bien mieux forgées qu'elle lui bloquait le passage.
Une agression. Alors que deux jours plus tôt, la rumeur que l'une des maisons voisines avait été dépouillée de son service de vaisselle en cristal se répandait dans toute la ville, voilà que le fils de Madame Fitzer, la vingtaine d'années, était rentré à la maison couverts d'hématomes et de deux plaies ouvertes. L'absence de la police montrait bien qu'elle n'avait pas été prévenues. Mais d'autres raisons étaient toute aussi possibles.
Le ton montait. Les silhouettes se rapprochaient les unes des autres. Les gens du voyage n'avaient jamais bien été acceptés dans le coin, c'était plutôt connu. Et Ally n'avait pas été la seule à en avoir déjà payé les frais.
Un regard de sa mère. Un mouvement de ses lèvres.

" - Fuis, ma fille. "

Le regard de l'enfant changea. Du haut de ses six ans, elle en appela à sa volonté pour se tourner vers la haie qui clôturait l'espace, plongeant dans les tuyas. Un coup de feu retentit, des cris s'élevèrent.
Les branches la griffaient, les feuilles dures et épaisses la piquaient. L'enfant parvint de l'autre côté de la bordure, Middle Street. Elle ne fut pas longue à prendre ses jambes à son cou, plongeant entre les promeneurs, nombreux en cette journée d'été. Le Samedi, il était rare d'être seul dans les rues, surtout si le soleil osait se pointer. La devanture d'un magasin affichait fièrement à la craie la date du jour : Saturday, June 25th 1988. Au loin, un klaxon de train se fit entendre. L'enfant bifurqua. Lower Cross Street. Upper Cross Street. Elle bouscula la malette d'un grand homme en costume et s'excusa brièvement avant de reprendre sa course. Lombard Street. Market Street. Elle fut soulevée du sol.

" Hé là ! Où cours-tu comme ça jeune fille ?
- Lâchez-moi ! Laissez-moi tranquille !
- Hou, mais c'est qu'elle se défend la p'tite ! Calme-toi, où sont tes parents ?

La garde.
Ce fut une question qui n'obtint jamais de réponse. Épuisée par sa course, l'enfant garda tout de même son calme, refusant d'adresser la parole à ceux qui ne lui avait, à elle et se semblables, jusque là jamais tendu la main.

La semaine suivante, Ally se trouvait dans un avion, en direction de Vancouver. L'altercation de l'enfant au sein même de Galway l'avait menée aux services sociaux, le temps que l'on ait des nouvelles de ses parents. Le journal du lendemain annonça cependant, par le biais de simples lettres sur un bout de papier, qu'une " dispute " entre des locaux et des gens du voyage avait mal tourné. Des blessés, des morts. Le champ où s'élevaient autrefois fièrement des tiges de blés s'était en quelques minutes transformé en champ de bataille. Le journaliste qui avait écrit l'article ne le saura sans doute jamais, mais par sa machine à écrire, il venait de bouleverser le destin d'une petite Pavees aux cheveux blonds.

Une des seules autres parentes de Ally se trouvait donc à Vancouver : sa tante, du côté maternel. Suite à son union avec Mr Mc Coller des gens du voyage, les relations s'étaient quelque peu tendues entre les deux sœurs. Si bien que la nièce n'avait jamais connu cette femme chez qui elle se rendait à présent. Sa vie venait de changer en une semaine. A ses côtés, l'employée de la compagnie aérienne l'accompagnant se voulait réconfortante. Sans y parvenir.
Vancouver était différente de Galway. Les gens, la ville, les habitudes et les coutumes. Ne serait-ce que les façons de faire entre les Canadiens et les Pavees. Certaines manières étaient plus développées. Un accent marquait leurs paroles, rendant au départ difficile toute compréhension. C'est une irlandaise qui pensait ça, me direz-vous.

Ally s’accommoda à la vie chez sa tante comme elle le put. C'était une dame plutôt douce, maman de deux garçons, marié à un Américain à l'allure fière et un peu trop vaniteux au goût de l'enfant. Elle découvrit l'école, qu'elle n'avait pas vraiment eu le temps d'explorer.
Un rythme de vie s'installa, quotidien. La tante de l'enfant apprit à la connaître. Tout en se questionnant tout de même sur certains faits plutôt... Étrange.

N'en touche jamais mot, m'avait dit ma mère. Nous sommes ce que nous sommes et rien ne peut en décider à notre place. Pour elle, il s'agissait d'un don de la nature. Mon peuple avait appris à garder mon secret. Mon apprentissage personnel consistait à me faire discrète. Et ils n'avaient pas tort... Maintenant que j'y pense, je ne sais comment j'aurais réagi à la place de ma tante, en apprenant que ma nièce passait son temps à s'amuser à se métamorphoser en animal... Je ne peux pas leur en vouloir, à tous. Qu'auriez-vous fait, à leur place ?

C'était un matin de printemps. A l'aube de ses douze ans, Ally ne contrôlait encore que trop vaguement ses capacités. Il était arrivé que sa tante lui retire certaines plumes disséminées dans ses cheveux, ou qu'une touffe de poils, une queue, n'ait pas disparu complètement. La jeune fille avait déjà rencontré, à la demande de ceux qui l'avaient accueillie, plusieurs médecins, mais sans succès. Les signes disparaissaient alors subitement et la même conclusion revenait régulièrement : " Tout est en règle, Mademoiselle. Rassurez-vous, vous êtes en pleine santé. "
C'était un matin comme les autres. A un détail près, peut-être : ce qui vint déjeuner à table, quelques heures après le lever du soleil ne fut pas une jeune fille... Mais une jeune louve, les yeux grands ouverts. Dans la cuisine, la tante hurla, la panique envahit rapidement toute la maisonnée.

J'ai fuit. Aussi vite que possible, aussi loin que je le pus. De mes quatre pattes. Pour tout vous dire, les cris et la carrure de mon oncle, ainsi que les couteaux qu'ils avaient déniché ne m'encourageaient pas à faire demi-tour. Je ne sais pas jusqu'où je suis allée. Pendant deux jours, je ne parvins pas à changer de forme. Inutile de vous dire l'affolement des habitants des villes avoisinantes quand la rumeur qu'un loup sauvage ayant dévoré une adolescente traînait dans la région se répandit. C'est fou comme tout cela va vite. Et moi... J'étais seule, et complètement perdue. C'est là que tout a commencé... Et s'est terminé.

Il sortit de nulle part, en pleine forêt. Ally y errait à nouveau, à la recherche d'une quelconque nourriture ne nécessitant pas forcément de chasser. Mais demeurant sous forme animale, c'était un détail qui rendait la chose un peu plus compliquée. C'est alors qu'elle le vit, l'homme s'avançant fièrement devant l'animal.
Hango. Le meilleur ami de son père, et fidèle allié de la famille. Surnommé " Hangover " du fait de ses nombreuses épopées en état d'ébriété, l'homme était robuste et imposant. Sa musculature en impressionnait plus d'un, constrastée par un visage doux marqué d'une barbe épaisse et sombre.
Ally ne bougea pas. Elle n'en croyait pas ses yeux. Il était pourtant là-bas, le jour où...
Hango s'approcha de nouveau de la jeune louve, posa un genou à terre, dévisageant l'animal de ses yeux noirs profonds. Ses deux mains forgés par le travail d'usine vinrent caresser la gueule de l'animal.

" - Ally. Tout va bien, je suis là. "

L'adolescente resta sans voix. Sous les yeux de son ami, elle reprit sans le vouloir progressivement forme humaine, quittant son pelage gris et blanc. Son regard ne quitta pas celui d'Hango.
Puis, sans dire un seul mot, elle s'écroula dans ses bras, les yeux remplit de larmes. Le calme de cette forêt fut brisé, ce matin-là, par les pleurs sincères d'une adolescente. De tristesse, de douleur, de peur, d'épuisement, de faim, d'incompréhension. De ces années à subir un destin qu'elle n'arrivait à décider d'elle-même.
Son ami ne broncha pas, la gardant dans ses bras, caressant doucement sa chevelure blonde. Alors elle s'endormit : il la maintenu contre lui, n'osant l'éveiller. Du sommeil, elle en avait besoin et il lui en faudrait. Le réveil serait difficile et peut-être que ce temps d'obscurité lui porterait conseil. Baissant la tête vers Ally, Hango essuya quelques larmes coulant dans sa barbe.

Lorsque Ally se réveilla, ils n'avaient pas changé de place. Deux heures s'étaient écoulées et elle se trouvait toujours dans les bras de son ami, au coeur de cette forêt aux herbes fleuries saisonnières. Les arbres se prêtaient au jeu. Un vent frais vint se joindre aux retrouvailles des deux individus, virevoltant doucement dans leur chevelure.
Ally se redressa, faisant face à Hango. Comprendre. Ce qu'il s'était passé.

" - Mais... Comment est-ce que tu.. ?
- Je n'ai pas le temps de tout t'expliquer Ally. Tiens, pour l'instant, mange ça et écoute-moi bien attentivement. "

Il sortit de sa sacoche, accrochée dans son dos, un sandwich fait maison. Deux tranches de pain, du beurre, du jambon. Qu'importe ce qui le constitua d'ailleurs : l'adolescente se jeta dessus, la faim la tiraillant depuis la veille. Pauvre sandwich qui n'eut même pas le temps de voir la couleur du ciel. Hum, mais ceci est une autre histoire. Hango reprit leur discussion, tandis qu'Ally l'observait en dévorant - et c'était bien le mot - sa collation.

" - Certaines choses nous dépasse, en ce monde. Tu en as fait l'expérience ces dernières années, je le sais. Quand tout a dégénéré au camp, ou chez ta tante. Ne me demande pas comment je le sais. Mais tout ce qui s'est passé n'était pas un hasard, sache-le : n'ai confiance qu'en toi-même, Ally. Tu m'entends ? Ne te fie pas aux apparences, et vois au delà de ce que tu vois. Tu n'en as pas encore eu l'opportunité, mais tu auras des choix à faire. Et au nom de nous tous, je m'excuse que nous en soyons garants. Je vais t'emmener quelque part, où il s'occuperont de toi. Mais surtout fais preuve de courage, sois très prudente..."

L'adolescente fronça les sourcils.

" - Je ne comprends pas...
- ... Et pardonne-moi. "

Ally lâcha son sandwitch. L'homme se leva, lui tendant la main. Il fallait qu'elle le suive ? A vrai dire, ses paroles ne l'avaient pas encouragées. Elle recula. Mais la force l'emportant sur la taille, elle n'eut de nouveau finalement guère le choix.

Ils roulèrent des heures. Plusieurs jours, traversant le pays. Le véhicule s'arrêta finalement une grande bâtisse. Pas d'au revoir, non : un simple regard, qui en révéla bien plus qu'il n'en parut. C'était le vendredi 13 Mai 1994. Il était 16:45. Ces détails, elle s'en souviendra toute sa vie. Le jour de son arrivée à l'institut.

Elle avait douze ans.

Dix-huit années. Oui, dix-huits années pendant lesquelles elle apprit ce qui l'avait mené à l'institut Stark, pendant lesquelles elle remit d'abord en cause les règles, elle chercha à retrouver sa liberté, apprenant à se défendre comme elle le pouvait. Pendant lesquelles les punitions furent parfois lourdes. Pendant lesquelles ils lui firent passer plusieurs tests, à la fois éprouvants, douloureux, blessants. Pendant lesquelles sa capacité fut développée, mais surtout modifiée à son sens.
Où elle considéra ce don, aux paroles de sa mère, comme un fardeau.
A cause duquel sa vie avait été menée.
A cause duquel son peuple, ses proches risquaient de souffrir au moindre faux pas.
A cause duquel elle devint un toutou obéissant et dangereusement loyal.

Elle aurait voulut tout oublier. Rester louve.

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