Si on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce en serait la salle d'attente
Je naquis dans le merveilleux pays du snobisme et du " Moi je... ", dans le royaume de la mondanité, où la cupidité est un art de vivre et les coups bas riment avec le quotidien. Notre famille devait sa renommé à mon grand-père, chef d'une entreprise privée d'import-export au début de l'air de mondialisation. Depuis, les Parker roulent dans des Porsche et prennent des vacances de luxe à Monaco. Mon paternel avait repris les rennes de l'affaire familiale, et ma mère passait son temps à dépenser dans les boutiques de Rodeo Drive LA ou à accueillir ses " amies " à la maison devant une tasse d'Earl Grey en se racontant les derniers potins de la ville. Et moi ? J'étais la gamine collante qui devait rester dans sa chambre en jouant avec mes dizaines de poupées, les conviant à prendre le thé et discutant avec elles.
J'étais une enfant, et cette situation me semblait normal. Pour moi, la vie devait être ainsi. Voir mon père une fois par mois, et encore, fallait-il qu'il soit de bonne humeur, puis supporter les crises d'hystérie de ma mère lorsqu'une chose ne lui plaisait pas. Mais je n'en avais que faire, je ne pensais pas que tout cela pouvait m'atteindre. Rien ne semblait pouvoir ébranler l'illusion éphémère de mon bonheur, rien sauf peut-être la vérité.
La vérité n'est jamais amusante. Sans cela tout le monde la dirait.
Du haut des mes douze bougies, la vie me paraissait paisible, comme si la routine nous avait tous embarqué dans son train-train quotidien. Avant même que je ne m'en rende compte, un fossé de la taille du Grand Canyon s'était creusé entre mon père et moi. Il ne se donnait même plus la peine de venir me voir, de m’appeler ou de prendre quelconques nouvelles. C'était comme si peu à peu j'avais perdu mon géniteur. Cette distance n'avait pas l'air de causer du chagrin à ma mère qui devenait elle même de plus en plus distante, si bien que nous ne mangions plus ensemble, qu'elle ne me demandait jamais ce que je faisais ou devenais. J'ai voulu la tester, par tous les moyens. Sécher les cours, casser des objets et des gueules... Mais rien n'y faisait, elle disait " nous en reparlerons plus tard " puis m'oubliait à nouveau.
Un soir ma mère a dit que je ne verrais plus mon père, celui ci quittait nos vies pour une mannequin de vingt ans qui s’intéressait surement plus à son porte monnaie qu'à ses paroles. J'ai voulu crier, criser mais je suis juste restée crispée. Je lui ai demandé pourquoi ; elle m'a répondu c'est la vie.
- Alors... Pourquoi la vie est ainsi Mum ?
- C'est ainsi, ta naissance a bien ruiné la mienne et je ne demande pas tous les jours à Dieu pourquoi je me suis pas plutôt cassé une jambe le jour de ta conception.
Puis elle est partie s'enfermer dans sa chambre. En quelques semaines, j'ai pu recoller le puzzle de ma vie. Avant que je ne vienne au monde, ma mère était promise a une grande carrière dans le mannequinat. Elle avait rencontré mon père à une soirée mondaine, avait passé une seule et unique nuit avec lui puis neuf mois plus tard, j'étais là, l’empêchant de vivre comme elle l'aurait voulu. Mon père a pris ses responsabilités, mais ne voulant pas d'une famille à charge, il a préféré se noyer dans son travail pour excuser son absence permanente.
Ma mère a donc dû recommencer à travailler pour subvenir à nos besoins. Elle ne rentrait que tard le soir, lorsque sa boutique sur Rodeo Drive fermait. J'ai donc du me débrouiller seule pendant quelques temps, puis elle a décidé qu'il était temps de prendre une gouvernante pour m'apprendre à être comme elle, coincée et affublée d'un manche un balais dans son royal postérieur. Certaines sont passées sans s’arrêter, trouvant le salaire trop juste ou le défi trop grand, j'avais été trop bien cadenassée pour ne pas être curieuse du monde qui m'entourait, quitte à en oublier les bonnes manières.
Puis, une vraie peau de vache est arrivée. Et je dis peau de vache pour ne pas dire connasse. Je devais l’appeler « Nany », et je suis passée par tous ces tests débiles que l'on est sensé ne voir qu'à la télé. Ça a commencé par les livres sur la tête pour améliorer mon port, puis le foulard à table pour que je me tienne vraiment droite et c'est finalement devenu de plus en plus oppressant. Si je faisais tomber un objet, c'était limite si elle ne me demandait pas de pleurer afin de me faire pardonner. Je ne pouvais plus ni parler, ni bouger sinon j’écopais d’une punition. Même si j'étais loin d'accepter ce conditionnement mental, je devais m'y faire. Je baissais la tête et j’obéissais gentiment, comme un animal docile.
Le seul moyen de se délivrer de la tentation, c'est d'y céder
Tout cela dura deux ans. J’avais donc seize ans. Deux années de pendant lesquelles ma mère n'a cessé de me rabaisser comme si je n'étais qu'un chewing-gum sous sa chaussure. Il fut un moment où je n'en puis plus. Peu importe combien j'essayais d'être la fille parfaite, de rendre ma mère fière de moi, je n'étais que celle qui avait détruit sa carrière.
Alors je suis partie. Sur un coup de tête. J'ai pris quelques affaires dans un sac, puis je me suis enfuie pour ne jamais revenir. J'ai marché plusieurs jours, j'ai souvent voulu faire demi-tour, mais je me suis résolue au fait que j'étais partie pour de bon. En trainant dans un petit pub pour me reposer, j'ai croisé une bande de mon âge. Je n’avais pas l’air très fine avec mon Diabolo Grenadine, tandis qu’ils me regardaient avec leurs bières à la bouche. Il n’y avait pas à dire, le fossé qui nous séparait était immense. Ils étaient différents, ils avaient l'air de ne pas avoir eu la même enfance onéreuse que moi. Ils m’ont invité à leur table, bien sûr, ils étaient saouls. J'ai passé la soirée avec eux, puis une deuxieme... Puis je suis restée quelques temps dans le même patelin, avec mes nouveaux « amis ». Parmi eux, une fille qui accentuerait encore plus ma chute. Son nom ? Lilou. Lilou Rosenblum. Elle était belle et rebelle, un peu trop même. Inconsciemment, je me suis comme laissé séduire. Consciemment peut-être même aussi. Mais bon, je ne pouvais pas juste... Être gay ? Moi ? Surement pas ! … Après tout, qu'aurait dit ma mère à propos de ça ?
Tout s'enclencha en une soirée, malgré moi. J'étais invitée à une petite fête, et j'avais prévu de disparaitre le lendemain. J'ai pris un verre. Puis deux, puis trois. Puis j'ai parlé avec Lilou. La belle me lança en plein milieu de la conversation qu'elle m'aimait. Moi. Que pouvais-je faire d'autre que l'embrasser et lui avouer que tout en elle m'enchantait ?
La soirée s'est poursuivie sans que je ne m'en rappelle... Tout ce dont je me souviens, c'est le douloureux réveil. Je n'étais plus à la soirée. Je ne savais plus où j'étais ni où j’en étais. Pourquoi m'avait-on amené ici ?
...
...
" Ici, personne ne pourra plus te mentir. "
C'est ainsi qu'à commencé ma nouvelle vie - mon nouveau moi - à l'institut, et même si tout cela m'a paru étrange au début, j'ai appris à vivre entre ces murs, comme s’il s’agissait de ma maison. Une maison où certes il y a quelque conflits internes, mais au moins, je suis libre.
Et Lilou ? Il s’est avéré qu’elle était là elle aussi. Mais moins je la vois, mieux je me porte. Après tout... J'suis hétéro non ?