Ses yeux s'écarquillèrent presque aussi tôt devant ce luxe indécent, c'était une propriété gigantesque, on ne pouvait le nier. Un frisson le parcourra toutefois, il n'avait jamais travaillé ailleurs que dans une ferme, qu'avait-il de plus à offrir que les autres jeunes gens de son âge mise à part l'angoisse de ne pas être à la hauteur des recommandations de sa tante quant à sa personne ? Rien. Rien du tout. Du hall grandiloquent orné de peintures somptueuse; il arriva de fil en aiguille aux cuisines poussiéreuses, celles du sous-sol, celles des domestiques, du communs des mortels, de la basse société en bref. Il était l'heure du souper, quelle chance inouïe avait-il de tomber à pic pour ainsi se faire fusiller littéralement du regard par ses semblables. « Je m'appelle Tobias, je suis ici pour proposer mes services en tant que valet de pied. » Il tomba au sol sous le choc, percuté de plein fouet et se heurta douloureusement au carrelage rugueux et froid. Le jeune homme se redressa maladroitement rassemblant comme il le pouvait le peu de dignité qui lui resté avant de sentir derrière lui une main épousseter sa redingote. « Vous êtes élégant. Vous venez pour le poste qui vient de se libérer je présume ? » Cet homme avait bien facilement une tête de plus que lui, ses cheveux bruns quoique légèrement grisonnants étaient plaqués en arrière avec un sens du détail exagéré. Tobias hocha la tête nerveusement sans demander son reste, il devait faire bonne impression, c'était ça ou rien. Quelques minutes plus tard il se retrouva dans son bureau, une minuscule pièce, nue et sans personnalité mais à quoi pouvait-il bien s'attendre d'autre n'est-ce pas ? Tobias posa instinctivement son regard sur cet objet cylindrique à l'aspect curieux. « C'est un téléphone. » Fit son interlocuteur, tranchant. Le brun le dévisagea un instant avec moue et nonchalance avant de se mettre à taper nerveusement son stylo sur le bois fragile et fatigué de son bureau bas de gamme. « Tobias c'est bien ça ? Monsieur le Comte et Madame la Comtesse ne peuvent pas vous prénommez ainsi, nous ne sommes pas dans les champs bon sang ! » Le postulant interloqué resta la bouche ouverte quelques secondes. « Sans vouloir vous offenser Mr. Cleaver c'est mon prénom et j'y tiens. » Le majordome un sourire en coin s'affala sur sa chaise croquant désormais son stylo inconsciemment. « Vous voulez ce poste Tobias ? » Celui-ci hocha la tête résigné, ayant déjà l'amer goût de la défaite dans la bouche. « Hé bien toutes mes félicitations Charles. Vous avez le poste. »


Charles jeta un œil au-dessus de son épaule, la nuit gisait sur son bout de terre mais le monde, lui, semblait se tenir tranquille, tout du moins la tranchée qui lui faisait face et ses occupants. Il alluma une cigarette, lui qui s'était juré de ne jamais commencer. Quelle monstre sans conviction devenait-il au juste ? Mr. Cleaver fit son apparition à quelques centimètres de ses lèvres provoquant chez lui un sursaut de surprise. « Je viens d'apprendre pour ton petit frère et je suis désolé. » Charles releva les yeux sur sa personne entre deux bouffés, blessé d'avoir à entendre la même rengaine depuis deux jours, réactivant ce trou béant qui grandissait tous les jours un peu plus. « Je me fiche bien de l'apprendre croyez-moi Gordon. » Il se mit à rire nerveusement. « Ce n'est pas mon prénom. Nous sommes à la guerre comme à la guerre. Appelez-moi Melvin. » Charles haussa un sourcil légèrement perplexe face à cet aveu peu banal. Pourquoi diable venait-il lui pomper l'air avec ça maintenant ? « Peu importe, si je rentre au pays je disparaîtrai de votre vie pour toujours Melvin. Je refuse de servir des hommes qui utilisent leurs relations pour se planquer pendant qu'on jonche sur le cadavre de nos frères. Moi depuis un an, vous depuis trois ans maintenant. Je suppose que vous êtes à même de comprendre n'est-ce pas ? » Il hocha la tête, visiblement déçu avant d'enfiler son casque de nouveau. « Je comprends Tobias et je ne vous en veux pas. » Un sourire espiègle se dessina sur le visage du plus jeune. Alors ainsi on lui restituait son prénom ? « Vous êtes un bon gars, je vous aime bien. Ne l'oubliez pas, demain sera à coup sûr une journée difficile. » Il grimaça un instant tout en effectuant le salut militaire de rigueur. « Bien Lieutenant Cleaver. » Il hocha la tête négativement. « Melvin, officier. »



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